Streaming : un tournant ou un casse-tête pour les labels indépendants ?

20 février 2025

Le streaming repose sur un système de répartition des revenus qui favorise nettement les artistes et labels mainstream. Les plateformes comme Spotify ou Deezer utilisent un modèle dit "pro-rata" : les revenus générés par les abonnements sont regroupés dans une cagnotte globale ensuite répartie selon le nombre d’écoutes. En conséquence, les artistes les plus écoutés (souvent déjà bien établis) captent une part démesurée des revenus, laissant les indépendants à la traîne.

Quelques chiffres pour mieux comprendre l’injustice de ce modèle :

  • En moyenne, Spotify verse entre 0,003 et 0,005 € par écoute. Un artiste ou un label doit donc générer des millions de streams pour simplement toucher des revenus significatifs.
  • Un rapport complet de Citigroup datant de 2018 montre que seulement 12 % des revenus générés par l’industrie musicale finissent dans les mains des artistes.

Les labels indépendants, souvent confrontés à des marges déjà limitées, peinent donc à tirer profit du streaming. Sans oublier qu’une grande partie de leurs audiences reste fidèle à des supports physiques ou à des plateformes spécifiques qui peuvent ne pas encore avoir adopté une large offre de streaming.

Avec des millions de pistes ajoutées chaque jour sur les plateformes de streaming, il est de plus en plus difficile de se démarquer. Les playlists éditoriales, souvent considérées comme la clé pour gagner en visibilité, sont monopolisées par les majors qui disposent de moyens colossaux pour promouvoir leurs artistes. Les indépendants, eux, doivent souvent se contenter de playlists communautaires ou user d’un marketing astucieux pour émerger.

Le rôle des algorithmes : une double tranchante

Les algorithmes de plateformes comme Spotify privilégient les contenus qui engendrent un fort engagement. Autrement dit, des titres populaires et commerciaux. Un label indé, qui mise sur l’audace et l’originalité, risque alors de ne pas apparaître dans les recommandations des auditeurs.

Par exemple, une enquête réalisée par Rolling Stone montre que moins de 20 % des artistes en streaming accumulent plus de 500 écoutes par mois. La majorité reste dans l’ombre, condamnée à un cercle vicieux où l’absence de visibilité freine leur succès.

Dans l’ère du streaming, la longévité d’un album ou d’un titre est bien plus courte qu’à l’époque des CD ou vinyles. Les algorithmes favorisent une production continue et rapide, voire un flux constant de nouvelles sorties. Mais pour un label indépendant, souvent limité en termes de moyens humains et financiers, produire en continu est un défi énorme.

Cette pression constante affecte aussi la qualité artistique. Contrairement aux majors, les labels indés sont habituellement les porte-drapeaux de projets travaillés en profondeur, aux processus de création plus longs. Ils risquent donc de perdre leur identité en tentant de s’adapter à une économie basée sur la quantité rapide.

Distribuer sa musique sur les plateformes de streaming n’est pas gratuit. Pour accéder à celles-ci, les artistes et labels doivent passer par des distributeurs numériques (comme Tunecore, DistroKid ou Believe) qui facturent des frais fixes ou ponctionnent un pourcentage des revenus générés.

Là encore, le modèle favorise les structures avec des volumes élevés. Un label indépendant, qui ne gère que quelques artistes, ne bénéficiera pas des mêmes avantages financiers que les grandes maisons de disques signant des volumes massifs de distribution. La rentabilité peut donc être un vrai casse-tête.

Ajoutez à cela des outils de promotion devenus indispensables comme le ciblage publicitaire via les réseaux sociaux ou les relations presse numériques, qui creusent davantage les budgets des petits labels.

Face à ces défis, certains labels indépendants explorent des solutions alternatives pour s’adapter au modèle de streaming sans renier leur identité.

Le "User-Centric Payment System (UCPS)" : une lueur d’espoir ?

Ce modèle de rémunération, proposé notamment par Deezer, redistribue les revenus en fonction des écoutes individuelles des abonnés. Autrement dit, l’argent de votre abonnement reviendrait directement aux artistes que vous écoutez. Bien que ce système ne soit pas encore généralisé, il représente un espoir pour les labels indépendants, car il mettrait fin au désavantage structurel du pro-rata.

Plateformes alternatives et direct-to-fan

Certains labels choisissent de contourner les mastodontes du streaming traditionnel en se tournant vers des plateformes plus éthiques et centrées sur les indépendants, comme Bandcamp. Les ventes directes aux fans permettent non seulement des marges plus intéressantes, mais renforcent également la relation artiste-audience.

Par ailleurs, des initiatives telles que Resonate, une plateforme coopérative proposant un système de paiement par écoute progressive, montrent que d'autres modèles viables sont possibles.

Revalorisation du merchandising et des concerts

Enfin, pour compenser les faibles revenus générés par le streaming, les labels indépendants réinvestissent dans d’autres sources de revenus comme le merchandising ou l’organisation de concerts. Ces alternatives, bien que chronophages, offrent des marges supérieures au streaming tout en consolidant le lien communautaire.

Le streaming a bouleversé la manière dont nous consommons et accédons à la musique. Si ces mutations offrent de nouvelles opportunités aux labels indépendants, elles révèlent également les limites d’un système souvent injuste pour les structures à taille humaine. Cependant, les initiatives émergentes et les voix qui s’élèvent pour plus de transparence et d’équité laissent entrevoir un avenir où l’indépendance pourrait retrouver la place qu’elle mérite.

Pour les labels indépendants, il ne s’agit pas de nier l’importance du streaming, mais de continuer à défendre les valeurs qu’ils portent : un engagement artistique sincère, une diversité musicale et une autonomie face aux géants de l’industrie. Le combat est loin d’être terminé, mais dans l’adversité, les indés ont toujours su faire preuve de créativité.